-Pas de titre.-

     Je voudrais tellement que tu me regardes, oh oui, que tu poses tes yeux sombres sur moi, juste une fois, que tu saches que j'existe. Je sombrerais dans ces gouffres amers que je ne saurais pas décrire aussi bien que Baudelaire. Un sourire peut-être, fugace, illuminerait ton visage parce que n'importe quelle pensée traverserait ton esprit. Ce sourire ne me serait même pas destiné, même pas offert, non. Mais j'en garderais le souvenir, bien au chaud, au creux de mon coeur qui lui servirait d'écrin, en parure éteinte. Tu vois, il me faut tellement peu de chose. Je ne demande rien.

     Je voudrais tellement que tu me regardes même si ton coeur ne bat pas pour moi non, oh, loin de là, mais pour quelqu'un d'autre. Que mon visage s'ancre dans ta mémoire - mon visage banal, qui semble hésiter entre laideur franche et oubli, mon visage qui ne vaut rien à côté du tien. Que ton indifférence sublime qui rajoute tant à ton inexplicable charme me balaie. Une demi-seconde, même pas, un demi-instant, que je n'aurais jamais oublié. Du moins je l'espère. Un souvenir de moment éphémère qui m'aurait guidé. Tu ne le sais pas, toi, ce que c'est que de vivre dans le noir, la solitude, un néant dantesque où crever en paix. Non tu ne le sais pas. Ta beauté, absolue jusque au-devant de l'Au-delà te protège de tout ça. Un sourire te suffit, et les portes s'ouvrent.

     Je voudrais tellement que tu me regardes, mon amour, même d'un simple regard vide, mais tu es si loin de moi, et si proche à la fois. Tu es mon illusion, mon espoir, le poison qui me ronge, ma drogue, ma marijuana, ma vodka, mon prozac, mon absinthe doucereuse, toi qui ne dis même pas "Je ne t'aime pas". Je le rêve tellement, trop fort, ce regard uniquement dû au hasard, qui n'aurait pas de signification, et qui pourtant me suffirait. Si tu savais la force des sentiments qui m'animent. Si tu savais comme c'est violent, cette envie d'arracher ta chemise et de plaquer ma peau brûlante contre la tienne qui est, je le devine, froid. Comme le plus beau des marbres. 
Et pourtant, tu le sais bien, je reste là, immobile. Qu'on m'oublie. Tous ces sentiments t'auraient fait peur, non ? Leur démesure ? Non. En effet. Tu n'as plus peur de rien, pour encore ajouter à ta froideur, à ton indifférence.

Je voudrais tellement que tu me regardes, que je sombre dans l'obscurité de tes yeux oui, et même que tu me parles. Que le son de ta voix, ta si jolie voix, se répercute encore et encore dans ma mémoire. Tu serais ma symphonie inachevée. Une partition à jouer à quatre mains. Je voudrais - je le souhaite si fort - que tu me dises, n'importe quoi, je m'en fous, c'est la musique de tes mots qui m'intéresse, elle serait ma mélodie, My Lullaby, mieux que The Cure. Mais je n'y crois pas. Plus ? Ta voix est éteinte désormais.

     Je voudrais tellement que tu me regardes mais je voudrais tellement aussi avoir osé. Parce que maintenant... il est trop tard, n'est-ce pas ? C'est foutu. J'en pleurerais. Pas toi. Est-ce que tu as des regrets ? Mon ange. Si sombre, oui, si pâle, magnifique devant l'Eternel, est-ce que tu m'en veux ? Je n'espère pas. Je ne veux pas que tu me haïsses. Tu sais, je ne voulais pas vous séparer, pas du tout. Je ne sais même pas ce qui m'a pris. Pardonne-moi.

     Je voudrais tellement que tu me regardes mais maintenant tu ne le feras plus. C'est fini, la mort en cadeau pour te remercier de tout ce que tu ne m'as pas donné, j'ai tué la personne qui comptait le plus au monde, celle à qui ma vie était destinée, offerte. Par jalousie. Par amour. Par égoïsme. J'ai posé ma main sur ton visage qui finalement ne m'appartient pas, ne m'appartiendra pas. Il n'est plus à personne d'autre qu'à l'éternité, cette belle éternité qui semblait n'être qu'à toi. Et puis je t'ai fermé les yeux. Ta peau devenait froide. Lentement, dans le silence que ta respiration ne troublait plus. Tu étais tout aussi sublime qu'avant. Voire encore davantage. J'ai contemplé ton corps, tes lèvres, tes cheveux. Et j'ai détourné le regard. Pour te rejoindre.

Vendredi 9 octobre - 10h ; 11h.
[Je ne prétends pas être le narrateur, qui peut être un homme ou une femme, et je ne te prétends pas non plus être le magnifique sujet de la nouvelle, loin de moi l'idée de t'assassiner, même si c'est ton regard et ton corps que j'ai décrits. C'est toi qui m'assassine. Et c'est mieux ainsi.]